TEMOIGNAGE DU DEMANTELEMENT DE L’INDUSTRIE FRANÇAISE. 30 ans au cœur d’un naufrage organisé par Salvatore Fiorino
Cadre, puis dirigeant industriel à partir du début des années 90, dans des PME comme dans des grands groupes multinationaux, j’ai assisté à la destruction progressive de l’industrie Française et il m’apparait important de témoigner de ce que j’ai vécu de l’intérieur durant ces 30 ans de démantèlement.
Je voulais commencer en vous parlant du lieu où j’ai grandi, une petite ville de 2500 habitants. Dans les années 70 et 80, il y avait un tissu industriel de petites sociétés qui employaient la plupart des habitants de la ville. Il y avait une fonderie, une imprimerie, une usine qui fabriquait des produits d’entretien, une savonnerie, une usine de raccords et tuyauteries, une tréfilerie, une forge (mon premier travail de job d’étudiant, un sacré souvenir…), même un petit atelier qui fabriquait des stylos Bic.
Aujourd’hui, toutes ces entreprises ont fermé, il ne subsiste que 2 ou 3 petites sociétés qui survivent péniblement. Si vous allez dans le centre-ville, vous constaterez que tous les commerces de proximité ont également disparu, il ne reste qu’un bar, une pizza, un Kebab… Outre le fait que la société de consommation et la grande distribution soient passées par là, la mort de cette petite ville est en grande partie due à la perte de ses usines, et donc du travail de proximité ayant pour conséquences que les habitants aient dû aller chercher du travail ailleurs, transformant cette petite ville, hier active et dynamique, en cité dortoir. Combien de villes ont subies le même sort en France ? Un vrai carnage !!
J’ai commencé ma carrière dans les années 90, dans une société d’un petit groupe Français qui fabriquait des équipements pour l’industrie automobile. J’ai, à cette occasion, accompagné l’informatisation des outils et méthodes de travail.
Un des enjeux fût l’ouverture d’un site industriel en Chine, afin d’accompagner une usine Citroën qui s’installait près de Pékin. J’ai à cette occasion étrenné et découvert la qualification de composants fabriqués par des fournisseurs chinois, et les surprises qui allaient avec, comme les aciers qui n’avaient aucune propriété mécanique, ou des défauts improbables, car ce qui était implicite pour nous puisque supporté par tout notre historique industriel, ne l’était pas pour les chinois qui ne faisaient qu’appliquer sans connaitre (du moins à cette époque…).
Le Deal était bien sûr que cette usine montée en Chine ne servirait qu’à alimenter le marché local…. Oui bien sûr, au début. Ce fût ensuite le marché américain, puis uniquement les grandes séries, et quelques années plus tard le site de France était fermé….
J’ai ensuite intégré une filiale d’une multinationale où je suis resté 16 ans. Groupe Européen lui-même appartenant à un groupe américain.
Bénéficiant d’une ouverture rapide aux investissements étrangers dès les années 90, accentuée plus tard par son entrée dans l’UE, le groupe a ouvert un site en Pologne dès la fin des années 90.
J’ai accompagné les délocalisations de production vers la Pologne, et fermeture d’unités de production en France. J’ai donc dû récupérer les moyens, capitaliser les savoir-faire, former, encadrer les Polonais, puis déplacer les chaines de productions et assister à leur démarrage, valider, corriger, et essuyer les plâtres jusqu’à ce que cela fonctionne….
Bien sûr, il ne fallait pas poser la question, des « coûts de transfert », il fallait « remplir » le site de Pologne…. Même si en prenant en compte les écarts de productivité et le transport, le gain n’était pas toujours significatif. Ce n’était pas grave, car compensé par les marges appliquées entre sites…A ce jeu-là, bien sûr le site de France était bien moins « profitable » ….
Appartenant à un grand groupe mondialisé, j’ai vu l’organisation de la société passer d’une unité autonome à mon arrivée où toutes les fonctions étaient présentes, vers une organisation matricielle par direction, où bien sûr, on se devait d’utiliser les ressources disponibles dans lequel le groupe avait investi. Ainsi, l’informatique ? En Inde. Le bureau d’étude ? en Inde également. Les bases de données ? Aux Philippines bien sûr ! Et puis grâce à leur formidable acquisition d’un site en Roumanie, achats, approvisionnement, contrôle gestion, administration des ventes sont parties là-bas. J’entends encore notre directrice RH Europe nous dire, menaçante, « estimez-vous Heureux, je peux embaucher là-bas un Bac+5 qui parle couramment 3 langues pour 300€ par mois… »
D’un site hyper opérationnel et productif de 700 personnes au début des années 2000, il ne doit rester aujourd’hui qu’environ 200 personnes, sauvées pour l’unique raison qu’ils fabriquent des produits pour les centrales nucléaires et qu’EDF refuse leur délocalisation. Tien tiens…Comme quoi quand on veut…
La politique du groupe et les principaux objectifs étant axés sur la réduction des coûts J’ai également accompagné l’abandon des fournisseurs Français vers des fournisseurs Italiens, Espagnols, portugais, puis comme les gains de réductions de coûts n’étaient plus suffisants j’ai accompagné les qualifications et montée en compétence de fournisseurs Chinois. Ceci ne s’est pas fait sans mal avec non-conformités rebuts retouches en tous genres, obligation de mettre en œuvre des stocks de sécurité et de faire superviser les productions par des contrôleurs et auditeurs sur place. Même si parfois, suite à de grosses crises nous étions amenés à faire venir les pièces par avion pour ne pas se retrouver en rupture, mais avec des prix 5 à 10 fois moins cher (voire plus) qu’en Europe on pouvait se le permettre…
Puis, les mentalités ont évolué avec l’avènement des notions de Lean-manufacturing, où l’on s’est mis à regarder les valeurs d’en-cours et de stock « dormant » (oui, pour l’actionnaire, il doit y avoir le moins possible de valeur immobilisée…). Dans ce cadre la Chine commençait à devenir « trop chère » (si, si, pour nos actionnaires, Shanghai était devenu trop cher…) on s’est donc réorienté vers des pays d’Europe l’Est à bas coûts comme la Roumanie ou la Tchéquie par exemple puis le Maghreb.
Une pression constante était appliquée à nos fournisseurs sur les prix d’achats. Par exemple, nous pratiquions pour la sélection des fournisseurs, les « enchères inversées ». Le principe : nous mettions en enchère un lot de pièces, nous présélectionnions des fournisseurs, et celui qui proposait le prix le plus bas remportait l’enchère. Et nos acheteurs ne devaient pas se reposer sur leurs lauriers : tous les ans, 1/3 de leur portefeuille devait être renégocié. Et bien sûr il n’était plus possible de préserver nos fournisseurs historiques Français, avec une structure de « commodity manager » basés pour la plupart en Europe de l’est, sans foi ni loi.
Dans ce cadre, et sans politique industrielle du pays, nous avons été témoin de la baisse de compétitivité et la dégénérescence progressive de l’outil industriel Français, victime d’une absence totale, d’investissement. Le contraste était saisissant lorsque l’on comparait les fournisseurs Français, avec de vieilles machines et de moins en moins de personnel, se débrouillant de bric et de broc pour fabriquer, quand, par exemple, de l’autre côté des Alpes, à chaque visite de fournisseurs Italiens, ceux-ci étaient fiers de nous montrer leurs nouvelles lignes de production dernier cri…
J’ai vu comment la plupart des sociétés industrielles Françaises qui étaient majoritairement dans les années 90 la propriété d’entrepreneurs, ont progressivement été reprises ou vendues à des groupes multinationaux (bien souvent par les descendants des bâtisseurs de ces sociétés – Et oui, tout s’achète et tout à un prix, même l’abandon des bijoux de famille…), puis inéluctablement, victime de rationalisation, réduction de coûts, délocalisations vers des sites du groupe en Europe de l’Est ou en Asie et enfin démantelées jusqu’à fermeture.
J’ai ensuite vécu personnellement 2 expériences de fermeture de site. Dans les 2 cas, nous sommes dans un contexte de fournisseurs de l’industrie automobile, de sociétés Françaises qui, pour faire face à la demande ont grossi très vite (par exemple une société qui fabriquait des produits pour la climatisation et la direction assistée des autos, accessoires qui ont explosé à la fin des années 90), puis se sont fait racheter par de grands groupes. Mais pour faire face à la demande client, avec des exigences de plus en plus fortes, et une pression constante sur les prix, ont dû délocaliser, sous peine de perdre les marchés face à la concurrence notamment des pays de l’Est de l’Europe et du Maghreb, et de plans sociaux en plans sociaux, ont réduits petit à petit leurs effectifs, lorsque finalement à l’occasion d’un renouvellement de modèle, on ne vous reconduit plus. Et là, c’est le coup de grâce.
Il faut dire que, bien que Renault ait toujours une partie de son capital détenu par l’état Français (même si son siège social est maintenant en Hollande, paradis fiscal intra UE…), rien n’est fait pour favoriser ou préserver les fournisseurs Français, fidèle au dictat de la « concurrence libre et non faussée » de l’UE.
Où en sommes-nous aujourd’hui pour l’industrie française ? seuls les secteurs d’activités de niche, les secteurs de haute technologie, l’aéronautique, ou encore les process hyper- automatisés ou robotisés subsistent.
Pour ce qui est de l’industrie automobile, la fin programmée des moteurs à explosion va avoir des effets dévastateurs.
Les contraintes qui risquent d’être fatales à ce qui reste de notre industrie sont tous les aspects réglementaires et normatifs de plus en plus prégnants, et surtout les aspects environnementaux ou RSE (responsabilité sociétale des Entreprises), ou les grands donneurs d’ordres s’engagent et imposent à leurs fournisseurs des exigences très restrictives, notamment une neutralité CO2 à l’horizon 2035.
Alors que faire pour relancer l’industrie en France ?
L’industrie française n’a jamais été dans les 50 dernières années, protégée par nos politiques. Elle a été sacrifiée par des politiques néolibérales aux profits de la finance internationale où l’actionnaire est roi, avec comme bras armé L’Union Européenne et ses Lobbies.
Nous savons que si notre pays va si mal, c’est en grande partie parce qu’il ne produit plus suffisamment, qu’il ne crée plus de valeur. Nous ne pouvons pas supporter l’économie d’un pays uniquement sur des services, du tourisme et une administration obèse.
Nous devons recommencer à produire notamment car nous savons par exemple qu’un emploi productif direct crée trois emplois indirects. Recréer de la production est donc le seul moyen de réenclencher un cercle vertueux pour notre économie.
Pour cela, à l’image de ce qu’a fait le général De Gaulle lorsqu’il a lancé de grands projets, il nous faut une projection et une vision de l’avenir afin de lancer les futurs grands projets de demain.
Nous devons imaginer les transports de demain, imaginer les véhicules, les trains du futurs, le transport de marchandises, les communications, l’énergie (notamment le nucléaire), et puis retrouver notre souveraineté et notre autonomie, sur des secteurs clé tels que l’alimentation, la santé et le pharmaceutique.
Pour cela, il faut investir dans la recherche et le développement et retrouver cette avance technologique que nous avions encore il n’y a pas si longtemps.
Pour financer cela, il nous faudrait agir sur la fiscalité des grands groupes, voire les démanteler afin de casser les mécanismes de délocalisation et de course au moins disant ou nous sommes au final tous perdants.
Il faudra, tout en préservant les fondamentaux de notre protection sociale (santé, retraite, chômage), refonder complètement les règles de cotisation sociale, afin de ne plus étouffer l’entreprenariat comme il l’est aujourd’hui.
Nous devrons également mettre en place des mesures de protectionnisme, afin de préserver la compétitivité de nos entreprises en taxant les produits importés en concurrence directe avec ceux que nous produisons (ex : taxe sur le Nbre de km de provenance des produits importés ; taxe de compensation sociale pour les produits en provenance de pays n’ayant pas les mêmes standards de protection sociale que nous).
Il nous faudra également penser la formation pour accompagner les métiers dont nous aurons besoin. Peut-être devrons-nous faire appel à nos anciens qui possèdent les savoir-faire de technologies aujourd’hui disparues afin former les futures générations.
Il nous faut également penser aménagement du territoire afin de recréer un tissus industriel réparti partout en France afin de redynamiser nos régions en privilégiant les PME et les ETI et en les protégeant des grands groupes multinationaux.
Bien sûr ceci ne peut pas se faire dans le cadre actuel des traités de l’Union européenne, et donc la remise en cause de notre adhésion à l’U.E. nous permettrait entre autres :
Le préalable à toute reconstruction de notre souveraineté économique et industrielle est donc la sortie de l’U.E. qui n’a jamais structurée pour les populations mais n’est qu’une technostructure au service des lobbies des multinationales transatlantiques mondialistes.
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