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Macron peut-il vraiment partager notre dissuasion nucléaire ? par Philippe Murer et Philippe Ambourg pour le MPC

Macron peut-il vraiment partager notre dissuasion nucléaire ?

Lors de sa dernière allocution télévisée, Emmanuel Macron, président de la République française, annonçait son souhait, son projet d’européaniser, de partager, de donner notre arsenal d’armes nucléaires à l’Union européenne. Ses propos et ceux du gouvernement sont très flous. Au-delà de toute réaction à chaud qui serait légitime face aux déclarations d’un homme seul, isolé dans son propre pays, décrié à l’international, la première question qui doit se poser est de déterminer s’il s’agit d’une information lourde de conséquences ou tout simplement d’une manipulation, voire d’un délire sans fondement.

Avant de considérer si cette annonce relève du domaine stratégique ou, tout simplement, d’une manipulation de masse, des masses, attachons-nous à vérifier si ce projet est réaliste, techniquement réalisable, légal au regard du droit international et des traités qui le régissent.

Que nous dit le traité de non-prolifération des armes nucléaires, signé par 180 pays dont l’intégralité des 27 pays membres de l’Union Européenne ?

Article premier : « Tout Etat doté d’armes nucléaires qui est partie au traité s’engage à ne transférer à qui que ce soit, ni directement ni indirectement, des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs, ou le contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs ; et à n’aider, n’encourager ni inciter en aucune façon un Etat non doté d’armes nucléaires, quel qu’il soit, à fabriquer ou acquérir de quelque autre manière des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs, ou le contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs. »

Article II : « Tout Etat non doté d’armes nucléaires qui est partie au traité s’engage à n’accepter de qui que ce soit, ni directement ni indirectement, le transfert d’armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires ou du contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs ; à ne fabriquer ni acquérir de quelque autre manière des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs ; et à ne rechercher ni recevoir une aide quelconque pour la fabrication d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs. »

Ces deux premiers articles laissent entendre que le projet de dissémination d’armes nucléaires françaises sur le sol européen n’est pas réalisable au regard du droit international. Cependant, des armes nucléaires tactiques américaines sont stationnées sur le territoire de cinq Etats membres de l’OTAN, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et la Turquie. Les armes en question restant, en temps de paix, sous le contrôle exclusif des Etats-Unis, il n’y a pas de violation du TNP selon une interprétation constante des États concernés. La Russie a longtemps rejeté cette interprétation mais l’a finalement faite sienne en envoyant des armes nucléaires tactiques en Biélorussie.

Un autre obstacle et non des moindres : le Traité de Moscou du 12/09/1990 qui fait lourdement obstacle à la possession par l’Allemagne de l’arme nucléaire[1].

A titre d’exemple, retenons l’Article 3 de ce Traité :

Article 3

  1. Les gouvernements de la République fédérale d’Allemagne et de la République démocratique allemande réaffirment leur renonciation à la fabrication, à la possession et au contrôle d’armes nucléaires, biologiques et chimiques. Ils déclarent que l’Allemagne unie respectera également ces engagements. En particulier les droits et obligations découlant du Traité du 1er juillet 1968 sur la non-prolifération des armes nucléaires continueront à s’appliquer à l’Allemagne unie.

Le gouvernement de la République démocratique allemande s’est expressément associé à cette déclaration.

  1. Les gouvernements des États-Unis d’Amérique, de la République française, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de l’Union des Républiques socialistes soviétiques prennent acte de ces déclarations des gouvernements de la République fédérale d’Allemagne et de la République démocratique allemande.

En conclusion, puisque la Constitution française impose de respecter les traités internationaux signés par la France, les deux traités signés par la France imposent à notre pays de garder le contrôle exclusif de la dissuasion nucléaire et rendent impossible que Macron donne la dissuasion nucléaire à l’Union Européenne. Le Traité de non-prolifération fait aussi évidemment obstacle à la volonté polonaise déclarée d’avoir le doigt sur le bouton de l’arme nucléaire[2]. Mais elles ne font pas obstacle à la menace d’un Macron disséminant les armes nucléaires françaises en Europe en gardant le contrôle de la bombe.

Il est cependant fort possible que Macron puisse temporairement violer notre Constitution grâce à « la position couchée des membres du Conseil Constitutionnel et de nos parlementaires. Mais violer le Traité de non-prolifération, c’est une autre paire de manches ! Donner le contrôle de nos armes nucléaires à l’UE ou d’autres pays d’Europe serait impossible à moins de déchirer le traité de non-prolifération, chose à l’évidence très difficile qui provoquerait la levée de boucliers d’autres grandes puissances. Une partie des risques est donc écartée, mais tous les risques ne le sont pas.

Si « l’opposition » laisse faire, Macron peut aussi s’engager avec la complicité du ministre de la défense macroniste Sébastien Lecornu à protéger d’autres pays de l’Union Européenne avec nos armes nucléaires tout en les laissant physiquement sur le sol français. C’est un risque important car nous ne maîtrisons aucunement la diplomatie des autres pays européens. Bénéficier du bouclier nucléaire français pourrait les engager à être « irresponsable » et à ne pas trop craindre une guerre, puisqu’ils se sentiraient à l’abri de la bombe. Nous protègerions ainsi d’autres pays, mais la réponse à une frappe nucléaire serait subie en premier lieu par la France. Ceci est évidemment déraisonnable.

C’est tout le sens de la tribune du colonel Jacques Hogard membre de la commission affaires étrangères du Mouvement Politique Citoyen, du colonel Alain Corvez et du contre-amiral Claude Gaucherand : « La dissuasion nucléaire est, par essence, l’expression d’une volonté nationale et ne peut être partagée. Brader notre dissuasion est inacceptable. Nous appelons à marquer une opposition ferme et complète au projet évoqué par le président Macron. »

Le Mouvement Politique Citoyen rejoint entièrement leurs conclusions. Méfions-nous, car Macron nous a montré qu’avec lui, tout est possible.

 

Philippe Ambourg et Philippe Murer

[1] https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201696/volume-1696-I-29226-French.pdfvolume-1696-I-29226-French.pdf

[2] Parapluie nucléaire français : la Pologne souhaiterait pouvoir avoir le doigt sur le bouton | TF1 INFO https://www.tf1info.fr/international/parapluie-nucleaire-francais-la-pologne-souhaiterait-pouvoir-avoir-le-doigt-sur-le-bouton-2358109.html